Créée en 1978 par Michel Etevenon, La Route du Rhum - Destination Guadeloupe est la reine des courses transatlantiques en solitaire. Depuis 44 ans, elle relie Saint-Malo en Bretagne à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, et regroupe sur une même ligne de départ le plus grand plateau de la voile océanique. Cette transatlantique, d’une distance totale de 3542 milles, est devenue mythique et sa magie opère dans la diversité des classes et le mélange des genres. Grandes figures de la voile, professionnels et amateurs se retrouvent tous les 4 ans pour goûter à « la magie du Rhum ».
138 skippers sur la ligne de départ
Le bassin Vauban au pied des rempart de Saint-Malo n'avait jamais été aussi rempli, les 8 Ultim d'abord et l'ex-Pierre 1er de Florence Artaud, gigantesque en 1990 paraît petit aux côtés de ces monstres de course. Sur le ponton, on est plus petit que les flotteurs et la largeur totale du plus grand des Ultimes est de 23 mètres, remplissant presque l'intégralité de l'écluse ! On y trouve aussi une flotte de bateaux hétéroclites réunis sous une bannière Rhum mono ou Rhum multi selon le modèle avec, amarré face à La Trinquette, où la fête bat son plein, le petit trimaran jaune Happy. Sister ship de l'Olympus de Mike Birch, le navigateur gagnant de la première course en 1978, avec 98 secondes d'avance sur le monocoque de Malinovski, la naissance de la légende de cette transat. Et enfin les Class 40, des monocoques de 40 pieds où skippers professionnels et amateurs se disputeront la victoire de la catégorie.
Dans l'autre bassin, le Dugay-Trouin, sont amarrés des multicoques de 50 pieds, les Ocean Fifty et les monocoques de 60 pieds, les Imoca, de véritables concentrés d'innovations technologiques, dont certains arborent, comme des défenses de géants marins, d'invraisemblables foils qui leur permettront de voler !
Ils sont 11 normands à prendre la mer
Ils ne sont pas très nombreux à se lancer dans la traversée, mais le benjamin des skippers engagés est Granvillais, Martin Louchart a tout juste 20 ans, il a découvert la voile au collège et il part sur son premier Rhum sur un Class40, un rêve d'enfant !
Côté 40 pieds, Pierre-Louis Attwell naviguera sur Vogue avec un Crohn et prouvera que la maladie n'empêche pas la performance. Pierre Casenave-Péré, le caennais, embarque lui aussi pour la première fois tout comme Cédric Chateau, le Havrais. Pour sa 4ème Route, Marc Lepesqueux embarque sur un bateau flambant neuf tout comme Xavier Macaire de Mont-Saint-Aignan.
Manuel Cousin, un rouennais qui part sur un Imoca de 15 ans réalisera pour la première fois sur cette course ; Charlie Dalin, du Havre a un bateau plus récent, un palmarès prestigieux et prend le Rhum lui aussi pour la première fois. Louis Duc, de Barneville Carteret récupère un Imoca et après un important chantier de réparation et d'optimisation lui donne une seconde vie, il part donc avec le bon bateau au bon moment.
En catégorie Rhum Mono, Julien Reemers, celui qui a fait ses premières navigations auprès du normand Paul Vatine, vit son rêve. En Rhum multi, on reconnaît le cherbourgeois Halvard Mabire qui part pour la 5ème fois sur un bateau récent et Brieuc Maisonneuve, de Granville, part pour son 2nd Rhum.
Quant au normand Thomas Pesquet, non, il ne prend pas la mer, il est juste venu parrainer le bateau de Samantha Davies, Initiative Coeur.
La protection de l'océan au coeur de la course
C'est l'ONG Surfrider Europe Foundation qui a été choisie comme partenaire de cette 12ème édition. Une audience populaire forte pour nous permettre de mieux comprendre les enjeux de la nécessité d'un changement sociétal en matière de protection de l'environnement. Mettre en avant la défense de ce milieu et nous impliquer pour sa protection. Une exposition très didactique permet sur le village d'affiner notre attitude face aux déchets et au tri, une collecte sur la plage est d'ailleurs organisée durant cette folle semaine de préparation et d'attente du départ.
Quant aux bateaux pratiquement tous des coques en carbone, on s'interroge. We Explore, un catamaran sorti du chantier naval en mai dernier a pour particularité d'avoir des coques en biomatériaux, intégrant des fibres végétales ce qui fait dire à Roland Jourdain, son skipper, double vainqueur de la course en Imoca, qu'il traversera l'atlantique sur un champ de lin... de Normandie. Le lin est beaucoup moins énergivore que la fibre de verre ou le carbone pour des performances similaires. Une innovation qui s'inscrit une nouvelle fois dans l'héritage de cette course. D'autres skippers sont aussi dans une démarche de réflexion sur l'impact environnemental de la navigation, à l'instar d'Arthur Le Vaillant, skipper et militant écologiste, qui part à la barre de Mieux, un Ultim aux multiples vies armé par un collectif d'entrepreneurs soucieux de l'environnement.
Une météo qui donne le tempo
Décidément le temps est étrange, il faisait 25°C à l'ouverture du village et de mémoire de Rhum ça n'était jamais arrivé. Le public est plus habitué à braver les premiers coups de vent et même si on ne renonce pas facilement aux derniers bains de mer, la saison est passée ! Plus le temps passait, plus le temps changeait pour finalement voir les premiers bulletins météo perturbés, des rumeurs sur les pontons, des inquiétudes en ville, eh oui, la ville est pleine de skippers accompagnés de leurs familles qui font les courses et qui bavardent ! Les bulletins météo confirmaient que le départ serait tonique, mais tenable. Par contre, derrière, il y avait une quasi-impossibilité de passer en Manche. La question n’était pas de savoir si la météo était bonne au moment du départ, mais si le départ pouvait donner lieu à la course. Donc au briefing des skippers, le samedi matin, veille du départ, la décision de reporter s’est imposée. "La situation était périlleuse pour les marins, analyse Cyrille Duchesne, de Météo Consult. Le vent devant forcir très nettement, de face (sud-ouest) avec un vent moyen de 40 nœuds (72 km/h), et des rafales à 55 (100 km/h)". Cette grande houle qui vient de l’ouest (6-7 mètres) et la mer générée par le vent de la dépression, ensemble, faisait qu’il n’y avait pas d’échappatoire possible pour la flotte. Donc une mer très compliquée et en plus, à l’avant du front le vent de sud venait lever également de la mer qui viendrait interférer avec cette grande houle, c’est ce que l’on appelle une mer croisée. Cette mer très désordonnée est vraiment très compliquée pour les marins, on appelle ça une mer "casse-bateau", qui porte bien son nom parce qu’effectivement elle met à rude épreuve le matériel. Dès la première nuit, les vents se seraient renforcés, avec en plus une mer compliquée puisque l’on a une forte houle qui arrive de l’Ouest avec des vagues de six à sept mètres sur la pointe Bretonne et la mer d’Iroise. Et quand on parle moyenne, c'est que certaines vagues pouvaient faire 12 mètres de haut ! La raison l'a emporté, le départ aura finalement lieu mercredi 9 novembre à 14h15, un peu frustrant quand même de ne pas être au coeur du départ, mais laissons-les partir, il se pourrait qu'ils arrivent vite à Pointe-à-Pitre pour battre une fois encore tous les records de la traversée !
15-20 nœuds de vent d’ouest/sud-ouest, 1,50 m de houle, un ciel qui va laisser la part belle aux éclaircies, le départ tant attendu de la 12e Route du Rhum – Destination Guadeloupe avec 138 bateaux sera exceptionnel ! Les skippers concentrés sont enfin entrés dans le schéma du début de course avec le traditionnel briefing météo et les dernières informations sur la ligne de départ longue de 3,5 milles (6,4 km !). Tous piaffent d’impatience à l’idée du jeu stratégique qui se dessine pour rejoindre la Région Guadeloupe.
Le 9 novembre, cette course légendaire et ses concurrents se sont élancés à l’assaut de l’atlantique en lançant au public une formidable invitation : celle de l’évasion et de l’émerveillement devant le rêve d’absolu de navigateurs solitaires, des « va-t-en mer » parés à disputer un face-à-face avec l’océan d’une rare intensité...
Charlotte Renouf